Appelés à goûter les bienfaits de la vie contemplative 

Le 11 septembre 2021, recevant en audience les Carmes déchaux à l’occasion de leur Chapitre Général, le pape François a rappelé que « la vie carmélitaine est une vie contemplative ». Après les avoir encouragés à garder et à cultiver fidèlement la triple dimension du charisme carmélitain : « l’amitié avec Dieu, la vie fraternelle en communauté et la mission », le saint Père les a exhortés à repenser, à partir du primat de la contemplation et de l’écoute des soifs des hommes et des femmes d’aujourd’hui, le renouveau de leur apostolat qui est de « donner au monde ce que le Seigneur [leur] a donné pour le bien de tous, c’est-à-dire l’eau vive de la contemplation ». En effet, à la suite de sainte Thérèse d’Avila, la tradition du Carmel voit en l’eau vive, une métaphore de la contemplation. Si ce don gratuit de Dieu est comme un avant-goût du ciel qu’il accorde à qui Il veut, quand Il veut et comme Il le veut, chacun peut se disposer à le recevoir avec humilité en le désirant avec persévérance :

Considérez que le Seigneur nous convie tous ; c’est la vérité même, on ne peut en douter. (…) Je tiens pour certain que tous ceux qui ne resteront pas en chemin ne manqueront pas de cette eau vive. Plaise au Seigneur de nous donner la grâce de la chercher comme il faut la chercher, puisqu’Il nous la promet, au nom et par la puissance de sa Majesté » (Chemin de perfection 19,15).

Au Carmel, le moyen qui conduit à la source d’eau vive, c’est l’oraison.

L’oraison thérésienne : une porte, un chemin, un dialogue d’amitié 

Afin d’obéir à ses confesseurs qui lui demandent d’« écrire sur l’oraison », Thérèse d’Avila rédige le Château Intérieur ou les Demeures. Elle y décrit l’âme « comme un château fait tout entier d’un seul diamant ou d’un seul cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu’il y a beaucoup de demeures au Ciel » (1D 1,1). Ces demeures sont au nombre de sept ; sept comme le nombre des étapes qui ont marqué sa vie et jalonné l’histoire de son âme avec Dieu, jusqu’au « sommet » de sa vie spirituelle, jusqu’à la septième demeure, là où Dieu se révèle en son mystère intime :

« Introduite dans cette Demeure par une vision intellectuelle, on lui montre, par une sorte de représentation de la vérité, la Très Sainte Trinité (…) Ici, toutes les trois Personnes se communiquent à elle, elles lui parlent, elles lui font comprendre ces paroles du Seigneur que rapporte l’Évangile : qu’Il viendrait, Lui, et le Père, et le Saint-Esprit, demeurer avec l’âme qui l’aime et qui observe ses commandements » (7D 1,6).

C’est cette inhabitation trinitaire dans le centre de l’âme qui fonde l’oraison et lui donne son orientation. L’ascension jusqu’au sommet de la vie spirituelle est, en fait, un chemin progressif d’intériorisation à la rencontre de Dieu qui demeure en chacun de nous, nous attend, nous appelle du plus intime de nous-même, pour Se donner à nous et nous transformer en Lui. Se décider à prendre le chemin de l’oraison, c’est donc répondre à l’initiative divine en ouvrant la porte du château, la porte de notre cœur, en ouvrant à Dieu tout ce que nous sommes, toute notre existence, afin de Le recevoir et nous recevoir de Lui :

« Puisque ce château est l’âme, il est clair qu’elle n’a pas à y pénétrer puisqu’il est elle-même ; tout comme il semblerait insensé de dire à quelqu’un d’entrer dans une pièce où il serait déjà. Mais vous devez comprendre qu’il y a bien des manières d’y être ; de nombreuses âmes sont sur le chemin de ronde du château, où se tiennent ceux qui le gardent, peu leur importe de pénétrer à l’intérieur, elles ne savent pas ce qu’on trouve en un lieu si précieux, ni qui l’habite, ni les salles qu’il comporte (…) la porte d’entrée de ce château est l’oraison et la considération » (1D 1,5.7).

Pour Thérèse d’Avila, l’oraison n’est pas une option. Elle est un moyen vital pour atteindre notre vocation qui est l’accomplissement de notre Baptême, autrement dit, la sainteté. Elle ne peut donc pas être un simple exercice spirituel déconnecté de nos vies, comme un tiroir que l’on ouvrirait et refermerait. Elle est étroitement unie à elle et la façonne : tout ce qui tisse notre quotidien nourrit notre oraison qui, à son tour, rejaillit sur toute notre vie, en l’irriguant. Chaque acte d’amour nous unissant davantage à Dieu, nos avancées dans l’oraison ne peuvent être dissociées de nos progrès dans l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi, Thérèse parle d’expérience en considérant comme un très grave danger d’abandonner l’oraison.

« Il ne s’agit pas de craindre, mais de désirer; car même si on n’avance point, si on tâche d’être parfait pour mériter les plaisirs et les régals que Dieu donne aux parfaits, le moindre de leurs gains sera de voir quel chemin il faut suivre pour aller au ciel; si on persévère, je mets mon espérance en la miséricorde de Dieu, puisque nul ne l’a pris pour ami sans qu’il l’ait récompensé; l’oraison mentale n’est rien d’autre, à mon avis, qu’un commerce d’amitié où on s’entretient souvent et intimement avec Celui dont nous savons qu’il nous aime » (V, 8,5). 

Cette célèbre définition de l’oraison nous montre que l’oraison est une rencontre entre un « Je » et un « Tu » ou un « Vous », entre tel homme ou telle femme, avec toute son humanité, et le Christ. Elle n’est donc pas un monologue, ni un discours intérieur avec soi-même, ni une dilution dans un « Grand Tout ». Elle n’est pas non plus un dialogue avec un Dieu lointain et impersonnel…, un entretien avec Dieu, sans distinction des trois Personnes divines. 

Non, c’est bien le Christ, deuxième Personne de la Trinité qui est le Centre de l’oraison. Cette question est, pour la Madre, si importante qu’elle consacrera un chapitre entier, le chapitre central du Livre de la vie (V 22), à la sainte Humanité du Christ.

L’oraison carmélitaine est donc une relation d’amitié avec le Christ. Or l’amitié suppose la fidélité. Elle suppose également de prendre du temps pour apprendre à se connaître. Où donc chercher le visage de Dieu sinon là où Il se révèle ? Nous percevons alors le lien vital entre l’oraison et la Parole de Dieu, l’oraison et les sacrements, en particulier l’Eucharistie, l’oraison et la charité fraternelle.

L’étude de la théologie spirituelle au service de l'oraison

Il existe donc un lien essentiel entre l’oraison et la théologie spirituelle ou, pour le dire autrement, un lien essentiel entre l’oraison et l’étude de l’expérience spirituelle chrétienne vécue par les Maîtres du Carmel et celle des thématiques spécifiquement carmélitaines. C’est précisément ce travail de réflexion que propose l’Institut Jean de la Croix à travers ses deux parcours de formation chrétienne et carmélitaine : le Certificat des Docteurs du Carmel et le Certificat d’Études Carmélitaines.

Lorsque le 27 septembre 1970, le pape Paul VI proclama sainte Thérèse d’Avila Docteur de l’Église, sous le titre de « Mère des Spirituels », il voulut affirmer    l’universalité de sa doctrine et de son « message pérenne et présent : le message de l’oraison ».

Les Docteurs du Carmel ne sont pas d’abord des théologiens spéculatifs, mais. ils enseignent à partir de ce qu’ils ont expérimenté dans leur propre vie spirituelle, c’est-à-dire à partir de leur expérience contemplative :

« Le Seigneur nous fait une faveur en nous accordant [la grâce d’union], mais c’en est une autre de comprendre de quelle faveur il s’agit, et en quoi elle consiste, et c’en est une nouvelle de savoir en parler et de donner à entendre ce qu’il en est » (V 17,5).

Il en est de même pour Jean de la Croix. Poète et théologien, le Docteur Mystique reste très discret sur sa vie et ses expériences mystiques, mais celles-ci transparaissent dans ses poèmes et dans les commentaires théologiques de ses poèmes. Parce qu’ils en sont le fruit.

Quant à Thérèse de Lisieux, sa doctrine est inséparable de sa vie. C’est à travers les événements qu’elle a vécus, relatés dans « l’Histoire d’une âme », qu’elle élabore la doctrine évangélique de sa « petite voie »:

«Pendant sa vie, Thérèse a découvert « de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux » (Ms A, 83v°) et elle a reçu du divin Maître la « science d’Amour » qu’elle a montrée dans ses écrits avec une réelle originalité (cf. Ms B, 1 r°). Cette science est l’expression lumineuse de sa connaissance du mystère du Royaume et de son expérience personnelle de la grâce. Elle peut être considérée comme un charisme particulier de la sagesse évangélique que Thérèse, comme d’autres saints et maîtres de la foi, a puisée dans la prière (cf. Ms C, 36 r°) (Saint Jean-Paul II, Lettre Apostolique, Divini Amoris Scientia, §1, 10 octobre 1997).

Les Maîtres du Carmel : pour nous apprendre à goûter la vie intérieure

Si ces trois saints du Carmel ont été proclamés Docteurs de l’Église, c’est en raison de l’universalité de leur doctrine et de leur enseignement. Certes, leur expérience spirituelle, leur vie d’oraison sont subjectives ; elles s’incarnent dans leur cheminement spirituel propre, leur histoire et leur psychologie respectives, le contexte historique, social dans lequel chacun a vécu…

Mais, d’une part, elles ont été vérifiées et reconnues, par l’Église, comme expérience surnaturelle des vérités de la foi. Et d’autre part, ceux qui les ont vécues les ont retranscrites en les explicitant à la lumière de l’Écriture et de la science théologique, manifestant ainsi les grandes lois de la vie spirituelle. Ces lois mises en lumières par nos Maîtres du Carmel concernent la vie de prière, la vie fraternelle, la vie apostolique et la vie mystique. Elles sont universelles et sont reconnues aujourd’hui par toute l’Église.

Chez les Docteurs du Carmel, l’expérience contemplative fonde la théologie. C’est dans cette même dynamique que s’inscrit la formation chrétienne et carmélitaine que propose l’Institut Jean de la Croix : à partir de l’étude approfondie des Maîtres du Carmel et des grandes thématiques spécifiquement carmélitaines, revisiter toute la théologie, afin de nourrir notre vie d’oraison et d’allumer, en nous, le désir du feu de l’Amour divin qui brûle dans le cœur des saints.