Le Carmel, c’est d’abord :

une chaîne de petites montagnes ou collines qui culmine à 550 m au-dessus de la mer Méditerranée appelée le mont Carmel. 

Il tient son nom de ses pentes luxuriantes et fertiles puisque carmel signifie, en hébreu, jardin, verger, vigne de Dieu. Ces vallons abritent également de nombreuses grottes et des sources. 

C’est en ce lieu que se déroulèrent deux épisodes importants du récit d’Élie, ce prophète animé d’un zèle ardent au service du Dieu Vivant, le Dieu Unique, le Dieu d’Israël. 

« Élie monta au sommet du Carmel; et, se penchant contre terre, il mit son visage entre ses genoux, et dit à son serviteur: Monte, regarde du côté de la mer. Le serviteur monta, il regarda, et dit: Il n’y a rien. Élie dit sept fois: Retourne. À la septième fois, il dit: voici un petit nuage qui s’élève de la mer, et qui est comme la paume de la main d’un homme. (…) En peu d’instants, le ciel s’obscurcit par les nuages, le vent s’établit, et il y eut une forte pluie » (1 R18, 42-45). 

Le Carmel, c’est aussi un esprit.

En effet, dès le Vème (ou VIème) siècle, dans la tradition du monachisme byzantin, des moines, poussés par l’Esprit, s’installèrent dans ces grottes du mont Carmel, près d’une source qu’ils baptisèrent « source d’Élie », afin d’y vivre, à l’exemple et à l’imitation du saint prophète, la prière continuelle dans le silence et la solitude.

À la fin du XIIème siècle, sans doute venus en pèlerinage en ces lieux marqués par l’esprit prophétique, érémitique et contemplatif d’Élie, des croisés s’y établirent pour y poursuivre, à leur tour, le mode de vie de leurs prédécesseurs.

En 1207, ces ermites appelés « Frères ermites du Mont Carmel », demandèrent au patriarche Albert de Jérusalem, de leur écrire « une formule de vie conforme à [leur] manière de vivre (…) dans la dépendance du Christ, [pour] le servir fidèlement avec un cœur pur et une bonne conscience » (Règle du Carmel, §3.2). 

Ces ermites se retrouvaient chaque matin, dans un oratoire, pour la célébration de l’Eucharistie (cf. Règle du Carmel §14). Cet oratoire fut consacré à Notre-Dame, modèle de l’âme contemplative, qu’ils choisirent comme Patronne et Protectrice de leur communauté. 

 

 Le Carmel, c’est enfin un Ordre. 

Entre 1235 et 1291, date de la prise de saint Jean d’Acre par les Sarrasins, ces ermites furent obligés de quitter les vallons fertiles de la Palestine pour se réfugier en Occident. En Europe, au milieu du Moyen-Âge, les villes étaient devenues des centres vitaux. À l’écoute des signes des temps, l’Église avait alors fondé les ordres mendiants, Dominicains et Franciscains, chargés d’y annoncer l’Évangile.

Dans ce contexte, malgré leur désir de poursuivre le même mode de vie érémitique qu’en Terre Sainte, afin de pouvoir continuer à subsister, les frères du Mont Carmel, durent s’installer dans ces cités médiévales, et adopter une vie conventuelle (communautaire) et apostolique (prédication, confession).

Dans les grandes villes, le Moyen-Âge vit également fleurir les universités. Les frères s’y inscrivirent pour étudier la théologie et la scholastique. Certains furent des maîtres renommés. Ce nouveau genre de vie fut rendu possible par le fait que, le 1er octobre 1247, « l’Ordre des Frères du Mont Carmel » avait reçu, des mains du pape Innocent IV, la lettre apostolique Quae honorem Conditoris dans laquelle il approuvait le texte de la Règle que nous connaissons, et qui figure, aujourd’hui, en tête des Constitutions des carmes, des carmélites et des carmes séculiers. 

L’ordre du Carmel n’a donc pas de fondateur proprement dit, mais ses sources d’inspiration et ses modèles sont le prophète Élie, à qui il empruntera sa devise – « Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur Sabaoth ; Il est vivant le Seigneur devant qui je me tiens » (1R 19,14 ; 1R 18,15) –, et la Bienheureuse Vierge Marie. C’est pourquoi le pape Innocent IV leur donna le titre de « Frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel ». 

Le Carmel, un Ordre, trois branches

 Avec l’essor des villes et cette « nouvelle évangélisation », des laïcs aspirèrent à vivre l’idéal carmélitain selon leur état de vie. C’est ainsi qu’en 1452, le pape Nicolas V accorda aux carmes, par la Bulle « Cum Nulla », l’autorisation d’ouvrir leur Ordre aux femmes et celle de fonder le Tiers-Ordre carmélitain, formé de laïcs partageant le même charisme que les religieux carmes, tout en vivant dans le monde. 

Le bienheureux Jean Soreth, alors Général de l’Ordre, joua un rôle très important dans la fondation de ces deux nouvelles branches. Au Pays-Bas, des béguines (des femmes laïques, souvent veuves, qui vivent en ermites au sein de petites communautés) reçoivent la Règle et l’habit du Carmel.

C’est la fondation du premier monastère de carmélites. En France, en 1463, la bienheureuse Françoise d’Amboise, veuve du duc d’Amboise, fonda le carmel de Vannes, grâce à l’aide de neuf carmélites venues de Liège. Jean Soreth en rédigea les Constitutions. Ce premier carmel féminin en France, fut suivi par de nombreuses autres fondations en Bretagne, en France et en Europe.

 

 

 

 

Ces monastères de carmélites, édifiés à l’intérieur des remparts des villes, mais cachés derrière de hauts murs, avaient une vocation essentiellement contemplative. La clôture fut donc peu à peu adoptée. Au cœur des cités, l’esprit des frères ermites a été retrouvé par les moniales. 

La réforme thérésienne : naissance de l’Ordre du Carmel Déchaussé

Née en 1515 à Avila, Teresa de Ahumada, jeune fille de la noblesse castillane, habitée depuis son enfance par le désir de « voir Dieu », afin de se donner à Lui et Le servir dans l’absolu de la vie religieuse, frappa, en 1535, à la porte du carmel de l’Incarnation.

Celui-ci, en raison du départ des conquistadors pour les Indes (Amérique du Sud), comptait un nombre très important de moniales (jusqu’à cent quatre-vingts !) ce qui engendrait des difficultés économiques, des soucis et de l’agitation (cf. Lc 10, 42) qui ne favorisaient pas le climat de charité fraternelle, de solitude et de silence nécessaire à la vie contemplative. Thérèse de Jésus en a souffert.

Durant vingt ans, elle navigua sur « une mer orageuse » (Vie 8,2) tiraillée entre le charme des parloirs et son désir profond de se livrer tout entière à Dieu, sans concession.

En 1554, implorant le Christ devant une statue de l’Ecce Homo, elle fut, par la grâce de Dieu, libérée de ses contradictions intérieures. Commença alors pour elle une nouvelle vie, dont elle laissa au Seigneur toute l’initiative, sans toutefois renoncer à faire ce qui dépendait d’elle.  De nombreuses faveurs divines s’ensuivirent.  

En 1560, une vision de l’enfer éveilla en elle un zèle apostolique pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes qui se perdaient, et en particulier, les protestants de la réforme luthérienne et les populations non évangélisées du Nouveau Monde. Mais femme et carmélite, comment pouvait-elle agir ?

L’inspiration jaillit lors d’une rencontre avec quelques-unes de ses amies : fonder un monastère, avec un nombre limité de carmélites déchaussées (treize, comme le petit collège du Christ) afin de pouvoir vivre, le plus parfaitement possible, les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté, obéissance et suivre, dans toute son intégrité, la Règle des frères ermites, donnée par le pape Innocent IV en 1247.  C’est ainsi que fut inauguré le 24 août 1562, à Avila, le carmel Saint-Joseph.

 

 

 

 

En 1567, le père Rubeo, Prieur Général de l’Ordre des Carmes, autorisa Thérèse à fonder autant de monastères qu’elle le souhaitait.

Thérèse sentait qu’il lui fallait avoir des frères, vivant sous la même Règle (et non plus sous la Règle mitigée alors en vigueur dans tous les carmels), avec qui partager le même idéal contemplatif, fraternel, et apostolique, pour l’aider dans sa réforme et dans ses fondations. En effet, ils pourraient accompagner spirituellement les carmélites et, par leur ministère apostolique, participer à la mission des moniales de prier dans le cœur de l’Église, pour le salut du monde.

Aussi Thérèse demanda-t-elle au père Rubeo l’autorisation de pouvoir fonder des couvents de carmes déchaux. Le 28 novembre 1568, le premier couvent de carmes déchaux fut inauguré à Duruelo, dans la province de Ségovie, avec les frères Jean de saint Matthias sous le nom, désormais, de Jean de la Croix, et le frère Antoine Heredia ex-prieur de Salamanque. Non sans tribulations, ni persécutions… la réforme se poursuivit à travers l’Espagne : dix-sept monastères de carmélites et quinze couvents de frères virent le jour.

Thérèse de Jésus mourut au monastère d’Alba de Tormes, le 4 octobre 1562. Elle fut canonisée le 12 mars 1622, par le pape Grégoire XV, et fut la première femme proclamée Docteur de l’Église, le 27 septembre 1970, par le pape Paul VI sous le titre de « Mère des Spirituels ».  

Jean de la Croix mourut le 14 décembre 1591 au couvent d’Ubeda. Il fut canonisé le 27 décembre 1726 par le pape Benoît XIII et proclamé Docteur de l’Église, le 24 août 1926 par Pie XI, sous le titre de « Docteur Mystique ».

L’extension de la réforme thérésienne en Europe

Dans l’élan de renouveau religieux provoqué par le concile de Trente, le Carmel déchaussé fut implanté en France par l’intermédiaire de Jean de Brétigny. N’ayant pu surmonter les obstacles politiques qui s’étaient dressés contre son projet de faire venir des moniales d’Espagne, il commença par traduire les œuvres de sainte Thérèse qui, l’espérait-il, ne pourraient que susciter l’intérêt des Français, lorsqu’ils découvriraient que l’essor du protestantisme, dans leur pays, avait été un des événements qui mirent la réforme thérésienne en mouvement.

C’est ainsi que Madame Acarie découvrit les œuvres de La Madre. Celle-ci lui apparut, à deux reprises, en lui disant que Dieu voulait qu’elle fasse venir ses filles en France. Femme d’influence de la haute noblesse de robe parisienne et cousine de Pierre de Bérulle, elle mit tout en œuvre afin que le projet initié par Jean de Brétigny puisse enfin aboutir. Elle forma elle-même des jeunes filles à la vie religieuse et fit venir d’Espagne six carmélites, dont Anne de Jésus et Anne de saint Barthélémy, l’une et l’autre très chères au cœur de sainte Thérèse.

La première fondation eut lieu à Paris, le 18 octobre 1604. Suivirent Pontoise, Dijon, Amiens, Tours, Rouen…

Lorsqu’elle fut veuve, celle qui fut la « principale introductrice du Carmel en France » entra comme sœur converse au carmel d’Amiens, et prit le nom de Sœur Marie de l’Incarnation. Elle mourut le 18 avril 1618 au carmel de Pontoise, et fut béatifiée le 5 juin 1791.

Quarante ans après l’arrivée des moniales d’Espagne, la France comptait cinquante-cinq monastères de carmélites déchaussées. Après la France, les Pays-Bas puis la Belgique, la Pologne, l’Allemagne et l’Italie accueillirent la réforme thérésienne.

Le Carmel déchaussé en France au XVIIIème et XIXème siècles : ombres et lumières

Au cours du XVIIIème siècle et jusqu’au début du XIXème siècle, en Europe, et plus particulièrement en France, l’Église, et spécialement les ordres religieux, traversèrent une période de décadence et de persécution, auquel n’échappa pas le Carmel déchaussé.

La restauration se fit, difficilement, en France, grâce au courage de Mère Camille de l’Enfant-Jésus (Camille de Soyécourt), qui racheta des couvents mis en vente par la République afin d’y installer, clandestinement, des moniales. Après la chute de Napoléon, s’ouvrit une période de renouveau, avec l’arrivée en France de frères carmes espagnols en exil. Grâce à l’aide de la Prieure du monastère de Bordeaux, Mère Bathilde de l’Enfant-Jésus, ils purent s’installer, en 1840, au monastère du Broussey situé en Gironde, dans l’arrière-pays bordelais. De nouvelles fondations de carmes et de carmélites se multiplièrent, en France et sur d’autres continents. 

 

 

En cette deuxième moitié du XIXème siècle, plusieurs figurent marquèrent le Carmel en France : Augustin-Marie du Saint Sacrement (Hermann Cohen, célèbre pianiste, élève et ami de Franz Liszt), Mariam de Jésus Crucifié, Élisabeth de la Trinité, mais la plus importante, et la plus universellement connue, fut Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Née à Alençon le 2 janvier 1873, elle entra au carmel de Lisieux en 1888, à l’âge de 15 ans, « afin de sauver les âmes et prier pour les prêtres ».

Elle y mourut le 30 septembre 1897. Ses dernières paroles furent « Jésus, je vous aime ». Celle que Pie X considérait comme « la plus grande sainte des temps modernes » fut canonisée le 17 mai 1925 par le pape Pie XI qui la proclamera Patronne des Missions, en même temps que saint François-Xavier, le 14 décembre 1927.

Elle fut élevée au rang de Docteur de l’Église par saint Jean-Paul II, le 19 octobre 1997, devenant ainsi le troisième Docteur du Carmel. Sa doctrine est un guide sûr.

Elle « indique à tous que la vie chrétienne consiste à vivre pleinement la grâce du Baptême dans le don total de soi à l’Amour du Père, pour vivre comme le Christ, dans le feu de l’Esprit Saint, Son propre amour pour tous les autres ». (Benoît XVI).

Le Carmel déchaussé français contemporain

A partir de 1880, les congrégations religieuses masculines ne furent plus autorisées en France. En 1901, expulsés de leurs couvents, les carmes furent alors, une nouvelle fois, contraints de s’exiler. À leur retour, au lendemain de la première guerre mondiale, ils rétablirent d’abord la Province Avignon-Aquitaine. Depuis 1932, les carmes déchaux en France, sont répartis en deux Provinces : la Province Avignon-Aquitaine et la Province de Paris.

Aujourd’hui, le Carmel déchaussé est présent dans le monde entier. Il est constitué des frères carmes, des sœurs carmélites, des laïcs membres de l’ordre séculier et d’une soixantaine de congrégations rattachées à l’Ordre, parmi lesquelles, en France, nous pouvons citer : le Carmel Saint-Joseph, les sœurs de la Providence de la Pommeraye, l’Institut Notre Dame de Vie, les Carmélites Missionnaires Thérésiennes et les Carmélites Missionnaires (fondées par le bienheureux François Palau y Quer).